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Articles de Monsieur Jacques Macé, historien de Draveil, avec son aimable autorisation.


Première partie

Jean Jaurès      Les événements de Draveil-Vigneux en 1908 se situent dans un contexte de vive agitation sociale, après l'Affaire Dreyfus et l'application de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat.

     L'ensemble des tendances socialistes s'est regroupé en 1904 dans la S.F.I.O. (Section Française de l'Internationale Ouvrière) grâce à l'action de Jean Jaurès. Ce dernier crée le journal L'Humanité dans lequel il s'exprime avec force et talent.

     La C.G.T. (Confédération Générale du Travail), constituée en 1895, mène de vigoureuses campagnes pour l'amélioration des conditions de travail (la journée de 8 heures au lieu des 11 à 12 courantes dans l'industrie et le commerce, le respect du repos hebdomadaire, etc....) et pour l'augmentation des salaires ouvriers entraînés à la baisse par l'excédent de main-d'œuvre. Aussi bien sur le plan politique que sur le plan syndical, les mouvements anarchistes sont très actifs et puissants.

Georges Clémenceau
     Georges Clémenceau, l'ancien maire de Montmartre sous la Commune, le Dreyfusard farouche, est devenu, dix ans après J'ACCUSE, un vigoureux partisan de l'ordre et un ardent défenseur de la propriété.

     Nommé à la tête du Gouvernement en 1906, il cumule les fonctions de Président du Conseil et de Ministre de l'Intérieur. De crainte d'être débordé par les contestataires anarchistes et révolutionnaires, il entreprend une sévère politique de répression des mouvements sociaux, dont l'affaire de Draveil-Vigneux (et de Villeneuve-St.Georges) va constituer l'apogée.

     Clémenceau y gagnera les surnoms de Briseur de grèves, Empereur des mouchards, ou encore Clémenceau-Villeneuve-Saint-Georges, avant que son action durant la Grande Guerre n'impose le surnom de Tigre.

Les Sablières de la Seine en 1908

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     Depuis 1865, une importante industrie d'extraction s'est développée sur la rive droite de la Seine, de Villeneuve-Saint-Georges à Draveil en passant par Vigneux, ainsi qu'à Villeneuve-St.Georges sur la rive gauche. Elle est liée à la présence, sous 50 centimètres de terre arable, d'une couche de sable et de cailloux épaisse de sept à huit mètres.

     Une trentaine d'entreprises se partagent l'exploitation de ce gisement : les frères Picketty, Morillon et Corvol, Lavollay, Charvet, sont les plus importantes.

Cliquez pour agrandir      Le sable est emmené par péniche à Paris où les importants travaux entrepris depuis le Second Empire constituent un débouché fructueux. L'intérêt de cette industrie augmente encore, à partir de 1895 avec les travaux du métro parisien. Les péniches, au lieu de revenir à vide, ramènent les déblais du forage des galeries, qui servent à combler les sablières épuisées. Ainsi, toute une partie de la ville de Vigneux est aujourd'hui construite sur le sous-sol parisien.

     Les conditions de travail dans les sablières (les fouilles) sont extrêmement pénibles et dangereuses. Une partie du travail doit s'effectuer dans l'eau. La journée de travail atteint ou dépasse 12 heures; le salaire de base du terrassier est de l'ordre de 50 centimes de l'heure; le travail s'effectue 7 jours sur 7. Les besoins en main-d'œuvre sont importants et une population ouvrière de 600 à 800 personnes, émigrée des provinces françaises les plus pauvres, s'installe précairement à Vigneux, principal centre d'extraction, et dans les communes environnantes.

     Pour un travail épuisant, le revenu des ouvriers des sablières n'atteint pas ou à peine le minimum vital. Pour se donner du courage, ils boivent 3 à 4 litres de vin par jour, surtout que les contremaîtres ont le monopole de la vente du vin sur les chantiers et embauchent leurs meilleurs clients potentiels.

La Grève des Sablières

     Bien que les événements se soient essentiellement déroulés à Vigneux et à Villeneuve-Saint-Georges, le nom de Draveil leur a été souvent associé, notamment dans les articles de l'Humanité. Ceci s'explique par l'existence à Draveil dès 1906 d'une section locale de la S.F.I.O. et par la création en 1907 d'un "Syndicat des Terrassiers de Draveil", qui deviendra la 32ème Section du Syndicat des Terrassiers et Carriers de Seine-et-Oise, affilié à la jeune et dynamique Fédération du Bâtiment.

Paul Lafargue      Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, qui habitait Draveil depuis 1896, fut à l'origine de la mise en place de ces deux structures. Théoricien du marxisme, brillant vulgarisateur et propagandiste, Lafargue, fondateur avec Jules Guesde du Parti Ouvrier Français, était membre de la Commission Administrative Permanente de la S.F.I.O. et de la rédaction de l'Humanité.

     Bien que son nom n'apparaisse pas directement dans l'affaire, il est indéniable qu'il ne fut pas étranger à l'importance accordée par l'Humanité au traitement de la grève des sablières. De plus, les gendarmes envoyés en renfort durant les événements établirent leur poste de commandement à la gendarmerie de Draveil. L'action des gendarmes lors du drame du 02 juin devint donc pour certains journalistes : "la tuerie de Draveil". Coïncidence : Paul Lafargue habitait à proximité immédiate de la gendarmerie !

Cliquez pour agrandir      Enfin, l'actuelle gare de Vigneux par laquelle arrivèrent la plupart des participants à la "Journée du 30 juillet" s'appelait alors "Station de Draveil-Vigneux" et les noms des deux communes se trouvèrent ainsi accolés pour l'Histoire.

     En 1906, les entreprises créent une structure appelée "Compagnie des Sablières de la Seine", chargée de la location-vente des terrains au meilleur prix et de la répartition entre elles, en évitant la concurrence sauvage. Chaque entreprise conserve néanmoins la maîtrise de son exploitation. Il en résulte une pression à la baisse sur les salaires qui passent de 50 à 44 centimes de l'heure.

     Des grèves sporadiques éclatent dès fin 1907. Au lendemain du 1er mai 1908, la grève démarre au chantier Lavollay et s'étend à l'ensemble des entreprises du bassin. Au départ, les revendications sont essentiellement salariales; les ouvriers réclament 70 centimes de l'heure. Mais, grâce au Syndicat des Terrassiers, le programme revendicatif va se structurer:
       - journée de travail de 10 heures et respect du repos hebdomadaire,
       - salaire horaire à 70 centimes et majorations pour heures supplémentaires,
       - suppression du travail à la tâche et reconnaissance du syndicat des terrassiers,
       - suppression des débits de vin tenus par les contremaîtres.

     A partir du 18 mai, le conflit se radicalise; vingt-six entreprises signent un pacte de solidarité pour refouler les revendications et s'opposer au syndicat ouvrier. Certains chantiers embauchent des travailleurs extérieurs: aussi les grévistes organisent "la chasse aux renards" (les non grévistes ou les casseurs de grève). Les gendarmes interviennent pour faire respecter la "Liberté du travail".

     Le 28 mai, les grévistes s'emparent de quatre "renards" que le Maréchal des Logis Turc, de la brigade de Draveil, libère par la force et que les grévistes reprennent. Le Sous-Préfet de Corbeil et le Maire de Vigneux ramènent le calme.

Cliquez pour agrandir      Le Comité de grève s'est installé à l'Hôtel-Restaurant du Progrès à Vigneux, tenu par M.Ranque, à l'angle de l'Avenue du Parc (aujourd'hui Jean Corringer) et de l'Allée Alphonse Daudet (aujourd'hui devenue rue).

     Une salle de bal, à côté du restaurant, est utilisée pour les réunions; sous la véranda, devant cette salle, est installée la "soupe communiste", Resto du Cœur qui fournit des repas aux ouvriers en grève (des souscriptions sont ouvertes dans les journaux socialistes). La maison Ranque est devenu aujourd'hui l'Auberge Fleurie, mais les lieux ont très peu changé depuis près d'un siècle.

     C'est en ces lieux et dans le climat décrit ci-dessus que vont se produire les incidents du 2 juin que nous qualifierions de nos jours du terme d'énorme bavure.

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