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  Les années 1890 vont être marquées par les décès de plusieurs des associés fondateurs et la transmission de leurs parts sociales à leurs héritiers. M. Froidure décède en 1890, M. Garçin en 1891, M. Muzey en 1893. Eugène Piketty disparaît en décembre 1894, laissant pour héritiers son fils Charles et sa fille Marie (Mme Tate). Ernest Piketty meurt en avril 1898, laissant pour héritiers son fils Paul et ses filles Jeanne (Mme Plé) et Juliette (Mme Bohain).

Cliquez pour agrandir  Les changements à la tête de l’équipe de direction amènent à modifier la raison sociale qui devient Leneru, Guérin et Cie en 1894, puis Leneru, Guérin, Commartin et Cie en 1903. On notera que le nom Piketty disparaît provisoirement de la raison sociale jusqu’à l’arrivée aux affaires de la génération suivante.

  George de Courcel décède un peu plus tard, en août 1904, laissant trois fils, Bernard, Robert et Antonin. Le cadet, Robert de Courcel, hérite de la propriété de Port-Courcel (photo ci-contre) et représente les intérêts de la famille dans l’entreprise sablière. Diplomate, érudit, écrivain, Robert de Courcel a joué un rôle important dans l’industrie sablière et nous retrouverons son nom.

Cliquez pour agrandir  Le début du XXe siècle a été marqué par une découverte qui va révolutionner le monde de la construction : le béton armé, mis en œuvre notamment par le grand architecte Auguste Perret (photo ci-contre). Le sable cesse d’être un simple liant pour devenir l’un des constituants du matériau de construction, au même titre que les graviers - qui doivent être soigneusement calibrés - et le ciment.

  Le changement de technique se manifeste jusque dans le vocabulaire : on commence à ne plus parler de sable et de caillou, mais d’agrégats, puis de granulats faisant l’objet de spécifications détaillées. Le marché explose.

  En raison de cette évolution technique et du nombre élevé d’héritiers des associés d’origine, l’entreprise décide de prendre le statut juridique de société anonyme, à l’initiative des cousins Charles et Paul Piketty. Elle est dissoute le 12 mai 1906, faisant apport de ses actifs indivis à une nouvelle société nommée Compagnie des Sablières de la Seine, au capital de 3.300.000 francs, divisé en 6.600 actions de 500 francs. L’assemblée générale constitutive de la C.S.S. a lieu le 6 juin 1906, au siège social du 2, quai Henri IV à Paris.

  Outre les matériels d’exploitation (dragues, élévateurs, barges , etc.), l’actif est constitué essentiellement par cinq sites de production :
. les sablières de Grigny et Viry: couvrant une surface de 50 ha aux lieux-dits Les Noues de la Seine, la Sablonnière, la Justice, le Clotay.
. la sablière de Saintry : 25 ha autour de la ferme de Saintry, propriété de la société.
. la sablière de Draveil, dite également fouille Pinque (et aujourd’hui la Fosse aux Carpes) : 25 ha entre les rues de Châtillon et du Port aux Dames à Draveil.
. la sablière de Choisy-le-Roi : 3 ha à Choisy au Saule Pouilleux et 16 ha à Villeneuve-Saint-Georges au Champ Paillard.
. les sablières de Villeneuve-le-Roi et Ablon : 9 parcelles représentant un total de 24 ha aux lieux-dits La Plaine Basse et le Port au Diable.

Cliquez pour agrandir  Les sites de Choisy-le-Roi et de Villeneuve-le-Roi sont possédés et exploités conjointement par la C.S.S. et par Morillon-Corvol, dans la proportion deux tiers pour la C.S.S. et un tiers pour Morillon-Corvol, les deux sociétés s’étant regroupées pour réaliser l’achat des terrains.

  Toute l’histoire des deux entreprises est ainsi jalonnée, suivant les lieux d’exploitation, d’accords de coopération mais aussi de conflits allant jusqu’au procès. Enfin, sur le site historique de Vigneux (photo ci-contre), sont installés les ateliers d’entretien et de réparation des matériels de la Compagnie. Ils y demeureront soixante-quinze ans.


II – LA BELLE ÉPOQUE 1906 - 1908

  Charles Piketty, fils d’Eugène, ingénieur de l’École Centrale, a également créé en 1892 avec son beau-père Alexandre Bouton la société Bouton et Piketty se consacrant à l’exploitation de carrières de pierre meulière sur le vaste plateau s’étendant de Grigny à Sainte-Geneviève des Bois (à Grigny, Viry, Morsang, Fleury). Les relations sont vite conflictuelles entre les deux cousins et Charles Piketty laisse, après quelques mois, la présidence de la C.S.S. à son cousin Paul Piketty, fils d’Ernest.

  Parmi les administrateurs, figurent MM. Leneru et Robert de Courcel, personnages qui marqueront l’histoire de la société. La direction générale de la Compagnie, au jour le jour, est assurée par un administrateur-délégué, Albert Berthier, précédemment comptable de la société. Rapidement, et pendant plus de vingt ans, M. Berthier va s’imposer comme ‘‘l’homme fort’’ de la Compagnie, auquel le conseil d’administration accorde toute sa confiance.

Cliquez pour agrandir  Tout en restant actionnaire de la C.S.S., Charles Piketty concentre son activité sur l’exploitation de la pierre meulière. Car la meulière est un matériau plus noble que le sable ; c’est une pierre légère et un excellent isolant thermique ; sa rugosité assure une très bonne adhésion des liants et son inaltérabilité permet son utilisation en sous-sol (voûtes des souterrains et égouts par exemple). Elle va également devenir le matériau privilégié pour la construction des pavillons de banlieue (photo ci-contre).

  En 1910, la société Bouton et Piketty prend le nom de Piketty et fils, dirigée par Charles Piketty et ses trois fils, Maurice, André et René. La société Piketty et fils connaît un développement considérable, créant sur le plateau de Grigny d’importantes installations pour descendre la meulière jusqu’à la Seine. Elle emploie, dans de difficiles conditions de travail et d’hébergement, plusieurs centaines de carriers, émigrés italiens en très grande majorité, au point que Grigny recevra le surnom de ‘‘Petite Italie’’, encore utilisé de nos jours.


Cliquez pour agrandir  Au décès de Charles Piketty en 1922, la société, dirigée par ses fils, prendra le nom Piketty Frères (seconde société à porter ce nom) et elle a poursuivi son activité jusqu’en 2002 (production de calcaire industriel, de gypse). De 1925 à 1944, René Piketty, troisième fils de Charles, sera maire de Grigny. L’exploitation de la meulière à Viry et Grigny a cessé par épuisement vers 1950.

  Pendant la même période, la plaine basse de Viry et Grigny est exploitée pour la production de sable par la Compagnie des Sablières de la Seine, dirigée par Paul Piketty. Les deux principaux sites sabliers de la Compagnie dans la région se trouvent donc à Vigneux-Draveil sur la rive droite (photo ci-contre) et à Viry-Grigny sur la rive gauche. Sur le modèle de la C.S.S., une opération de regroupement se fait également autour du chantier Lavollay, qui devient l’entreprise Lavollay, Grouselle et Aubrun, avant de prendre le nom de Société d’extraction et de transport de matériaux (SETM).

  Dès son premier exercice, la C.S.S. enregistre un bénéfice de 300.000 francs et distribue un dividende de six pour cent. En 1907, le bénéfice passe à 388.000 francs mais, l’année suivante, la Compagnie doit, avec l’ensemble des sociétés sablières du bassin de la Seine, faire face à une grave crise sociale qui fera entrer le nom des sablières de la Seine dans l’histoire du mouvement ouvrier français, crise connue sous le nom d’événements de Draveil-Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges.

 

1 - Les conditions de travail

Cliquez pour agrandir  Pendant des siècles, l’extraction du sable s’était effectuée avec des moyens artisanaux. L’extraction du sable à la pelle et son chargement dans des tombereaux (photo ci-contre), son criblage sur des claies, son transfert sur des chalands descendant la Seine jusqu’à Paris mettaient essentiellement en œuvre la force physique.

  Mais ces travaux étaient fréquemment effectués ‘‘en famille’’, patrons et ouvriers travaillant côte à côte. Le développement de la machine à vapeur va permettre l’exploitation du sable dans les plaines alluviales des berges avec des moyens mécaniques plus importants : dragues à godets, élévateurs pour effectuer le chargement de péniches pouvant transporter jusqu’à 500 m3, mais aussi donner naissance à un prolétariat. Car de nombreuses tâches doivent toujours être réalisées par la force de travail humaine : la ‘‘découverte’’, c’est-à-dire l’enlèvement de la terre végétale pour parvenir à la couche d’alluvions, le creusement de canaux pour relier la fouille au lit du fleuve et permettre la mise en œuvre de la drague flottante, la reprise à la pelle des matériaux pour assurer leur tri et leur criblage, le stockage de la terre végétale soigneusement conservée pour la couverture et le régalage des fouilles comblées et la reconstitution du paysage, etc.

Cliquez pour agrandir  En fait, l’accroissement des volumes extraits résultant de l’utilisation des moyens mécaniques entraîne également une augmentation des besoins de main-d’œuvre non qualifiée. Les sociétés sablières du bassin emploient bientôt environ sept cents terrassiers, ouvriers en provenance des provinces françaises les plus pauvres (Bretagne, Languedoc, . . .) et immigrés italiens.

  Il s’agit d’une population très mobile qui se loge d’une manière précaire, avec ou sans famille, dans les communes environnantes : Villeneuve-le-Roi, Ablon, Villeneuve-Saint-Georges, Vigneux, Ris, etc. Dans certains cas, des célibataires et même des familles habitent des bateaux-logements amarrés dans les fouilles (photo ci-contre). En effet, dès que la fouille atteint quelque profondeur, elle est envahie par l’eau et l’exploitation de la sablière se traduit par le développement de plans d’eau de plus en plus étendus. La majeure partie du travail des terrassiers s’effectue donc les pieds dans l’eau ou au bord des plans d’eau.

Cliquez pour agrandir  Les opérations mécaniques ne sont pas intégrées dans des processus continus ; les opérations manuelles sont pénibles et nécessitent de solides gaillards. Les horaires de travail sont épuisants car, pour gagner suffisamment leur vie, les terrassiers travaillent jusqu’à 14 à 16 heures par jour, sans repos hebdomadaire. Ils consomment de grandes quantités de vin (4 à 5 litres par jour) pour maintenir leurs forces et l’alcoolisme fait des ravages dans leurs rangs.

  Certains travaux sont payés ‘‘à la tâche’’. Les accidents du travail (membres happés par les machines, écrasements par rupture d’élingues, etc.) et les noyades sont fréquents. L’espérance de vie des terrassiers ne dépasse guère 52 ans. On peut dire sans exagération que le monde des sablières constitue un univers à la Zola.

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